[Mission] Rajeunissement

La vie à Las Noches n'avait jamais été très marrante, mais depuis qu'il avait perdu sa place dans l'Espada, Grimmjow trouvait encore pire de rester reclus dans ce palais à la noix. Avant au moins, quand il arrivait quelque part, flanqué ou non de ses Fraccion, les Numeros avaient un mouvement de recul autant effrayé que respectueux ; ça l'énervait pas mal que ces ramassis de lâches se comportent en carpettes en sa présence, à l'époque, mais ceux qui le fuyaient la veille, aujourd'hui restaient sur place et baissaient la voix, ne lui jetant qu'un coup d'oeil moqueur accompagné de temps en temps d'un ricanement qui hérissait l'ancien Sexta. Il était manchot, ouais, il était au courant! Bande de nazes. Qu'un seul ait le cran de rester à sa hauteur et Grimmjow l'attrapait pour lui arracher sa petite langue de merde ; on faisait beaucoup moins le malin avec plein de sang et à peine un moignon dans la gueule! Malheureusement, il n'avait pas souvent l'occasion de passer ses nerfs de la sorte, parce que ces Numeros n'étaient pas tous totalement inconscients : ils préféraient généralement attendre qu'il se soit éloigné ; de toute façon, Grimmjow évitait ses congénères autant qu'il le pouvait. Même ses Fraccion, si on pouvait encore leur attribuer ce titre, ne l'accompagnaient plus autant qu'avant. Ils l'avaient suivi tout ce temps parce qu'ils le croyaient capable de devenir un Vastolorde, parce qu'il portait leurs espoirs déçus, mais à présent que sa propre évolution était stoppée, quelle raison avaient-ils de l'appeler leur roi? Son bras coupé le diminuait et, même s'il refusait encore de l'admettre, il ne pourrait pas retrouver sa force d'antan. Ils n'avaient plus aucune raison de le suivre. Plutôt que de l'entendre de leurs propres voix ou de les voir l'abandonner, Grimmjow préférait couper les ponts lui-même. Il ne tenait pas à eux et il n'avait pas peur d'être déçu, non ; c'était une simple question de fierté, et la sienne avait été trop malmenée ces derniers temps pour qu'il ne la ménage pas un peu.

C'est la raison pour laquelle Grimmjow était seul au moment de croiser Starrk. À part eux, le couloir était vide. C'était une partie du palais où les Arrancar évitaient de trop mettre les pieds parce qu'elle abritait le laboratoire de l'Octava Espada : personne n'avait envie de tomber dans l'un des pièges de Szayel Aporro Grantz et de se retrouver solidement sanglé sur sa tables d'opération. En fait, ce n'étaient que des rumeurs, mais comme aucun témoin vivant n'en était revenu, les gens préfèraient de ne pas prendre de risques. Il n'y avait rien de bon à attendre d'un type qui expérimentait sur son propre frère! (Même si en fait, les liens du sang et le sens moral étaient des concepts difficilement applicables aux Arrancar.)
Grimmjow, lui, s'en moquait comme d'une guigne de ce qu'on pouvait bien raconter sur cet endroit-là. C'étaient des couloirs comme les autres, sauf qu'il y avait moins de monde qu'ailleurs, donc c'était l'idéal pour s'isoler et avoir un peu la paix (cette petite teigne de Luppi ne viendrait pas l'emmerder jusqu'ici). Le connaissant, Starrk devait être ici pour des raisons similaires aux siennes ; il devait être déçu aussi de tomber sur quelqu'un.
L'ancien Sexta s'arrêta et fixa l'autre Arrancar. Il n'avait aucun grief personnel contre le Primera, mais il était nettement plus avancé que lui sur l'échelle de leur évolution et ça suffisait à faire de lui un adversaire potentiel. Ce qui était emmerdant avec lui, c'était son absence totale de motivation pour le combat, un peu comme un oreiller mou, le bruit et la bave en plus (il avait déjà vu sa Fraccion torturer son gosier, et bon dieu ce que ce spectacle pouvait être lamentable!). Grimmjow savait de quoi il parlait : il avait déjà essayé de le motiver, sans succès.
Et voilà qu'aujourd'hui ils se croisaient, seuls tous les deux, et que son épaule amputée l'empêchait de lancer la moindre provocation !

« Eh, j'avais oublié que tu savais marcher ! » lança-t-il d'un ton pas aussi agressif qu'il l'avait voulu, plus pour dire quelque chose que pour se montrer mesquin.

Il remarqua soudain que des volutes de fumée s'étaient mises à flotter autour d'eux. Il se retourna brusquement et fixa l'extrémité du couloir d'où elles provenaient. Il y en avait de plus en plus! Putain ce que ça piquait les yeux! Grimmjow sentit des larmes perler au coin de ses paupières alors qu'il était pris d'une quinte de toux.

« Bordel, qu'est-ce que c'est que cette merde ?! »

Il eut soudain l'impression de tomber de très haut sans que ses pieds quittent le sol. Pris de vertiges, il se laissa aller en arrière. Bam! Ses fesses entrèrent bien plus vite que prévu avec le carrelage. Il y avait trop de fumée pour qu'il distingue quoi que se soit autour de lui, et de toute façon ses yeux le brûlaient trop pour qu'il les ouvre. Il tenta de se relever, mais il s'empêtra les pieds dans son propre hakama et retomba aussitôt assis. La main qu'il appuya sur le sol glissa, parce que sa manche était soudain devenue trop longue, et c'est en levant le bras pour la faire retomber sur son coude qu'il réalisa que quelque chose clochait. Ce n'étaient pas ses vêtements qui s'étaient agrandis.
C'était lui qui avait subitement rétréci.

« Raaah, si je chope Grantz...! maugréa-t-il d'une voix bizarre. Très bizarre, beaucoup trop aigüe pour lui, et qu'il testa aussitôt pour s'assurer qu'il n'avait pas mal entendu : Eh, Starrk ! T'es toujours là ? »

Oh merde.
Quand la fumée se dissipa, les pires soupçons de Grimmjow furent écartés : ouf, ils n'étaient pas devenus des nains castrés! Seulement des gosses d'à peine quatre ans qui flottaient dans des uniformes dix fois trop grands pour eux. L'ex-Sexta porta la main à son résidu de masque de Hollow. Il fut surpris de sentir, à la place d'une mâchoire aux crocs acérés, une simple bande osseuse garnie de deux dents plates. Il plaça ensuite sa main devant ses yeux et découvrit ses petits doigts potelés.
De sa nouvelle voix de petit garçon, il s'exclama avec tout ce qu'il pouvait y mettre de colère et d'envie de meurtre :

« Mais qu'est-ce que c'est que cette MERDE ?!! »

Après l'épisode désastreux du désert, Luppi était retourné en vitesse dans ses quartiers pour troquer ses vêtements couverts de boue contre une tenue propre. On pouvait le suivre à la trace : ses semelles avaient laissé des empreintes boueuses sur le sol des couloirs qu'il avait traversés. Enfin, heureusement, il n'avait croisé personne qui aurait profité de sa déconvenue pour se moquer de lui, c'était déjà ça...
C'est un Luppi tout propre et brillant qui reprit sa marche dans le palais. Bon, cet adjucha minable l'avait un peu humilié tout à l'heure, mais tant pis! Ulquiorra n'était pas du genre à répandre des commérages sur les gens, et puis ça l'avait diverti, finalement ; il aurait juste préféré ne pas payer les frais de cette distraction et en profiter un peu plus. Fichu Cuarta, qui fourrait son nez dans les affaires des gens! D'accord, sur ce coup-là il était arrivé sur place avant lui et il avait attaqué le premier, mais quand on cédait son tour à quelqu'un, c'était pas pour le lui reprendre à peine deux minutes plus tard! Luppi gonfla ses joues en se rappelant la façon dont on l'avait mis de côté. Il prendrait son temps, mais ça se paierait.

Comme il se déplaçait sans but précis, simplement au hasard des embranchements qui se présentaient à lui, le petit Sexta finit par atterrir dans un endroit qu'il tarda à reconnaître. Tous les couloirs ne se ressemblaient pas, à Las Noches, autrement personne n'y retrouverait jamais son chemin, mais les différences entre eux étaient si subtiles qu'il n'était pas donné à tout le monde de se repérer au premier coup d'oeil. Quand Luppi réalisa où il était, il marqua un temps d'arrêt. Même lui n'appréciait pas des masses la compagnie de Szayel Aporro Grantz ; il avait beau être moins gradé que lui, il y avait quelque chose d'inquiétant à se trouver sur son territoire, entouré de tous ses gadgets. D'un autre côté, il venait de repérer la présence de Grimmjow un peu plus loin, et comme il ne se privait jamais d'aller le tourmenter un peu, Luppi n'hésita plus et repartit d'un bon pas. Il n'était pas tout à fait à l'aise, mais la promesse d'un amusement facile le motivait à se rapprocher du laboratoire de l'Octava.
Il lui fallut encore quelques mètres pour sentir que quelque chose de pas normal se passait. D'abord ce ne fut rien qu'une légère diminution du reiatsu de Grimmjow, puis d'un seul coup, il sembla à Luppi que son prédécesseur s'évaporait littéralement! Il s'arrêta, d'abord interdit, tentant de percevoir quelque chose à travers ses pesquisas. Il haussa un sourcil.
Au fur et à mesure qu'il progressait, des volutes de fumée d'un gris très clair se mettaient à circuler au-dessus de sa tête. Elles s'étaient presque totalement dissoutes quand il rejoignit enfin Grimmjow. Ou plutôt ce qu'il en restait. Ulquiorra se trouvait déjà là, mais ça n'empêcha pas Luppi d'éclater de rire.

« Pe-petit!..., répéta-t-il, incapable de dire quoi que se soit d'autre avant d'avoir repris son souffle, Mon dieu, Grimmy, je te savais diminué, mais à ce point...! »

Il essuya une larme sans cesser de sourire largement. Ah çà, c'était trop drôle! L'enfant qui se tenait à leurs pieds, complètement empêtré dans des vêtements bien trop grands que lui... ses cheveux bleus et son regard méchant ne laissaient pas de place au doute : il s'agissait bel et bien d'une version miniaturisée de Grimmjow Jaegerjaquez, dont la mâchoire droite se trouvait réduite à deux dents ridiculement rondes et petites. Il n'avait pas l'air de comprendre comment une telle chose avait pu se produire, et à vrai dire Luppi non plus, mais son expression rageuse sur ce visage encore poupon était si cocasse que, non, il ne pouvait pas s'empêcher de glousser. Le petit Sexta réussit néanmoins à se calmer, mais c'est toujours souriant qu'il s'accroupit à la hauteur de l'enfant.

« Tu sais Grimmy, tu serais mignon si tu montrais un peu moins les crocs. On dirait un vilain petit roquet, se moqua-t-il en appuyant sa tête dans une main et son coude sur sa jambe, Je dois dire que ça te va plutôt bien »

Il fit mine de lui faire une pichenette sur le nez, mais dut retirer son doigt pour ne pas risquer de se faire mordre : même réduit à rien du tout, Grimmjow restait égal à lui-même.
Il comptait l'embêter mais apparemment, son prédécesseur se débrouillait déjà très bien pour se pourrir l'existence tout seul. Luppi se dit un instant qu'il resterait bien regarder, mais que pourrait-il faire de plus pour rendre la situation plus insupportable qu'elle ne l'était déjà? Le bercer? Bof, non, c'était pas si drôle, et puis ça ne durerait pas longtemps...
Il avait peut-être une meilleure idée.

« C'est dommage, je t'aimais quand même mieux avant. »

Il se redressa et mit une main sur sa hanche.

« Au fait, comment tu comptes t'y prendre pour battre le type qui t'a fait ta jolie cicatrice, déjà ? Tu vas essayer de l'attendrir ? Moi je pense que quelqu'un de mieux placé que toi devrait s'en occuper, tu vois, pour que le travail soit bien fait et que personne n'ait à se plaindre de rien. Crois-moi, tu me remercieras. »

Un clin d'oeil plus tard, Luppi était reparti.

Spoiler:

Nnoitra jurait. Nell se promenait librement parmi eux avec interdiction de la fracasser, c'était pas drôle! Décidément, aujourd'hui, il était de bien mauvais poil. A plus d'une fois il a voulu la défier à ce jour, autant de fois elle avait refusé. Juste cette pensée suffisait à le rendre dingue. C'est vrai quoi, il voulait prouver à tout le monde qu'aujourd'hui, entre Nell et lui, c'était le Quinta le plus puissant. Pourtant Aizen avait été clair sur les ordres : interdiction de faire du mal à la femme aux cheveux verts. Interdiction, obligation, son grade était injuste (Quinta? Selon lui, il méritait le titre de Tercera plus qu'Hallibel parce que c'était une femme.) et en plus, il lui était interdit de faire ce qu'il voulait, il devait suivre les ordres de son enfoiré de maître à la lettre.

« Parce que tu es plus faible que moi »
A chaque fois, cette phrase à deux Khans lui revenait en tête. Et évidemment, ce n'était pas pour l'aider dans son self-control. Comment cette garce pouvait lui envoyer ça avec un sérieux pareil? Une telle absurdité... Nell, plus forte que lui? Depuis quand les femmes arrivent à battre les hommes? C'était du n'importe quoi total, il est « écrit » que les guerriers seront toujours plus forts que les guerrières! Pourtant Nell et Hallibel.... Comment revendiquaient-elles le titre de troisième plus puissant Arrancar? Cette place, ainsi que celles de Secunda et Primera, devaient revenir de droit à des hommes.

Le plus chiant, c'est que malgré ses aptitudes de combat terribles et son Hierro le plus solide de l'univers, on ne le classait que cinquième, derrière la seule fille de l'Espada. Cela lui donnait de sérieuses envie de meurtres mais il était seul, Tesla ne l'avait pas accompagné, heureusement pour lui d'ailleurs. En plus, il n'avait jamais gagné contre cette fille en un contre un. La seul fois où il a arraché la victoire, c'était grâce à l'aide de Szayel Apporo. Ne jamais parvenir à gagner contre une fille sans l'aide du génie, c'était pas normal ni amusant le moins du monde. La fracasser sans l'aide de Szayel cette fois, c'était l'unique obsession de la parabole.

Cependant, il ruminait tellement sur Nell et Szayel que, sans s'en rendre compte, ses pas le menèrent vers le laboratoire de son complice où il trébucha sur quelque chose. Enfin, plutôt « quelqu'un » que « quelque chose » mais là n'était pas son soucis premier, plutôt celui d'essayer de ne pas se casser la figure par terre, là où il échoua lamentablement. Se relevant, énervé, il proliféra une nouvelle vague de jurons avant de voir sur qui il avait trébuché. En fait, ses réflexions n'étaient pas tout à fait fautives de sa chute, l'être était vraiment minuscule. Comme Nnoitra était Gigantesque, il n'a pas réussit à le voir avant de tomber.

Mais son apparence globale fut la première chose qu'il constata. De courts cheveux bleus, un bout de mâchoire sur sa joue droite en guise de masque aux incisives gentilles, comme les bébés mais surtout son Haori 20 fois trop grand pour la taille du jeune Arrancar, de la taille d'un nourrisson de 4 ans. Si l'Espada n'aurait pas été si en pétard pour sa chute, il se serait volontiers foutu de sa gueule.

« Hey, morveux! De quel droit t'as fait tomber le Quinta Espada Nnoitra Jiruga? Et d'abord, t'es qu.... »

Sa question mourut dans sa bouche quand il l'agrippa pour le plaquer au mur. En effet, en l'attrapant, Nnoitra sentit très bien l'absence d'un bras gauche. Ça, avec l'estigma vert qu'il avait sous les yeux, le doute n'était plus permis, cela semblait un peu abracadabrant mais il s'était passé la même chose avec Nell alors pourquoi pas?

« …Grimmjow?? C'est vraiment toi? »

Son œil s'ouvrit un peu plus en constatant qu'un autre nourrisson était aussi là. Celui là était brun, avait son trou de Hollow en dessous de la gorge avec un petit morceau de mâchoire à son cou. Il aurait pu ressembler à n'importe qui d'autre si son air tout le temps fatigué ne rappelait pas immanquablement le plus paresseux de toute l'Espada, Coyote Stark.

C'était la mode maintenant, chez les Arrancars, d'être réduits à la taille de bambins? Finalement, peut-être pas, Ulquiorra et D Roy étant aussi sur les lieux, avec une taille tout à fait normale. Regardant de nouveau Grimmjow, il ne put s'empêcher d'exploser de rire.

« Ha! Regardes toi Grimmjow, déshonoré, réduit à une taille pitoyable, amputé d'un bras, T'as vraiment touché le fond mon gars! Tu fais décidément Pitié! »

Puis, après un effort considérable, il parvint à se calmer. Il pensa soudain au plus gros problème de la situation, la réorganisation de l'espada. Si jamais cela était éternel, est-ce que ça voudrait dire qu'on décalerait chaque espada d'un rang? Cela ne pourrait que l'enrager car son grade de Cuarto ne voudrait rien dire et surtout que sans Stark, Hallibel serait Secunda Espada, quelle horreur! Mais... et si Barragan avait aussi été touché? Ça voudrait dire qu'elle deviendrait.... PRIMERA ESPADA! Le cauchemar!

« Dites, vous savez s'il existe un moyen pour annuler la métamorphose? Car j'ai pas envie d'avoir Hallibel en Secunda Espada moi! »

« Va mettre ça dans le placard avec les autres. »

Le hollow, une sorte de vermisseau muni de deux paires de bras, recueillit le bocal que lui tendait son maître et partit en rampant le ranger à l'endroit indiqué, dans un placard métallique placé contre le mur au fond du laboratoire. Depuis le début de la dissection, le rayonnage du haut s'était encombré d'une dizaine de récipients du même type et tous, sans exception, contenaient différents organes flottant dans du formol. Normalement, ce n'était pas possible de prélever et conserver les parties du corps d'un hollow après sa mort, car les particules d'énergie spirituelles se dispersaient assez vite et que tout disparaissait. Comme c'était un inconvénient quand on voulait mener des recherches, Szayel Aporro Grantz avait réglé ce problème depuis longtemps : le produit qu'il utilisait pour maintenir l'état des organes était d'une composition spéciale, elle empêchait les particules spirituelles de se désagréger.
L'Octava Espada retira le masque blanc qui lui couvrait le nez et la bouche. Son visage offrait une expression neutre tandis qu'il regardait, sur la table d'opération, les restes du corps qu'il avait vidé de sa substance. C'était à peine une carcasse, bien trop peu pour nourrir un hollow même s'il n'était pas trop difficile, et le sang qui avait coulé partout, sur le métal froid de la table, sur le carrelage blanc du sol, ajoutait un degré d'horreur à cette boucherie. C'était un spectacle qui se renouvelait souvent dans le laboratoire. Les Fraccion de l'Octava, des hollow modifiés par ses soins pour prétendre au rang d'arrancar (si on acceptait de fermer les yeux sur certaines fantaisies anatomiques), y étaient habitués ; inutile pour leur maître de leur ordonner de nettoyer ça, il suffisait qu'il s'en éloignât pour qu'aussitôt, deux ou trois de ses sous-fifres se précipitassent pour débarrasser la scène des derniers morceaux du cadavre. Szayel Aporro, quant à lui, alla au lavabo le plus proche. Ses gants et son masque finirent dans une poubelle, tout comme sa blouse qui était maculée d'autant de taches de sang que d'autres fluides corporels répugnants. L'odeur de la pièce, mélange de mort et de produit d'entretien, aurait soulevé le coeur de n'importe qui, mais c'était aussi une habitude et ça ne choquait plus personne, excepté, peut-être, le cobaye qui savait qu'il ne ressortirait pas de là en un seul morceau —et pas forcément mort, malheureusement.
C'est au moment où l'Octava coupait l'eau —on pouvait adorer dépioter n'importe qui/quoi au nom de la science, ça n'empêchait pas d'avoir des notions d'hygiène— que Lumina et Verona, les deux Fraccion qui lui servaient de casse-croûte à l'occasion, firent irruption dans la pièce. Szayel Aporro tourna légèrement la tête dans leur direction et leur adressa un regard froid, pour les prévenir qu'il ne tolérerait pas leurs pitreries habituelles ici, mais les deux erzats d'arrancar étaient étrangement silencieux. Sentant que quelque chose clochait, le scientifique se permit un froncement de sourcil.

« Qu'avez-vous encore fait, vous deux ? »

Cette simple question jeta aussitôt les Fraccion dans l'embarras, et Szayel Aporro eut la confirmation qu'ils avaient bel et bien fait une connerie, ou tout du moins quelque chose qui risquait de le contrarier : il était clair que les deux imbéciles qui se tortillaient devant lui, mal à l'aise, craignaient qu'il ne les punît. Comme aucune réponse intelligente ne venait, l'Octava fit un pas dans leur direction. Il n'avait pas besoin de prendre une posture menaçante pour que Lumina et Verona paniquassent encore plus. Tous deux se mirent à parler en même temps, faisant regretter à leur maître le doux silence d'il y a trente secondes.

« C'est Verona qui a commencé ! glapissait l'un, Je lui ai dit que c'était pas bien, mais Verona n'a pas écouté !
— Men-menteur ! se défendait le second, une expression d'horreur sur son visage stupide, J'ai rien fait du tout ! C'est Lumina qui voulait le prendre !
— Menteur toi-même ! C'est toi le voleur !
— Pas vrai ! Pas vrai !
— Taisez-vous ! les interrompit Szayel Aporro, excédé, Je vous accorde une dernière chance. Si vous ne me dites pas immédiatement quelle bourde lamentable vous avez commise, je ferai l'inventaire de vos boyaux sans anesthésiant. »

Apparemment, c'était suffisant pour délier la langue de ses Fraccion, qui cessèrent de se rejeter mutuellement la faute et avouèrent leur forfait : ils avaient "emprunté" une "joli fiole argentée" pour jouer avec, et l'avaient malencontreusement laissée tomber dans un couloir près du laboratoire. L'Octava retint un soupir affligé. "Jolie fiole argentée"... mouais, ça pouvait seulement être l'une des quatre-vingt cinq substances qu'il conservait sur une étagère, c'était évident qu'il suffisait de lui apprendre ça pour qu'il devine automatiquement de quoi il s'agissait. Ces deux brouillons étaient incapables de lire une étiquette ou quoi? Il allait falloir qu'il se décide à leur greffer un cerveau, un de ces jours, ça devenait urgent...
Il serait directement allé voir quelle était la fiole manquante sur l'étagère, si Lumina n'avait pas ajouté qu'ils étaient partis précipitamment à cause de l'arrivée de deux Espada. Ah bon, vraiment? Il y avait eu des gens au moment où le contenu de la fiole s'était répandu dans l'air? C'était un heureux hasard : il allait pouvoir constater lui-même les effets de son expérience sur des arrancar solidement constitués, et on ne pourrait même pas l'accuser de se servir de ses camarades comme cobayes! (Le seigneur Aizen lui passait beaucoup de choses, mais les membres de l'Espada, Szayel Aporro évitait quand même d'y toucher).

L'Octava Espada se rendit sur place sans perdre de temps, plus poussé par la curiosité scientifique que par le désir de venir en aide à ses collègues. Quand il arriva là où ses Fraccion prétendaient avoir brisé la fiole, il constata que d'autres arrancar s'y trouvaient déjà : Ulquiorra, l'un des compagnons de son frère aîné, ce cher N'noitra et... deux très jeunes enfants ; l'un, affalé sur le sol dans un tas de vêtements trop grands pour lui, paraissait profondément endormi, tandis que l'autre, flottant dans sa veste, était maintenu contre le mur par le Quinta. Son apparence attira immédiatement l'attention du scientifique, qui s'approcha nonchalamment du groupe. Il s'arrêta près de N'noitra et, croisant les bras sur son torse, un sourire aux lèvres, il dit :

« Eh bien, si je m'attendais à ça... »

Il voyait de quelle fiole il s'agissait, maintenant. Elle occupait le rayonnage réservé aux recherches sur Neliel. Il n'était pas en mesure de les mener directement sur l'ancienne Tercera, bien sûr ; il tentait de reproduire les conséquences de la prodigieuse perte d'énergie spirituelle liée à la destruction d'une partie de son masque. Il n'avait pas encore eu l'occasion de tester ça sur un arrancar mature, et il n'en avait de toute façon plus besoin, maintenant. S'il ne se trompait pas —et comment l'aurait-il pu?— l'enfant que tenait N'noitra n'était autre que Grimmjow. Un nouveau coup d'oeil à l'enfant étendu par terre permit à Szayel Aporro de reconnaître Starrk ; pas que son apparence ait quoi que ce soit de particulier, il ne ressemblait plus tellement à l'adulte qu'il était habituellement, mais cette capacité à dormir n'importe où ne se retrouvait pas chez tout le monde.
Ainsi donc, c'étaient ces deux-là qui avaient fait fuir ses Fraccion... Le résultat était intéressant, et il correspondait à ce que l'Octava avait cherché à obtenir : un rajeunissement brutal des sujets.

« C'est malheureux que nos camarades de l'Espada aient payé les frais de cette expérience, dit-il avec un soupir, mais son sourire et la façon dont ses yeux brillaient ne trompaient personne : la situation lui plaisait, Le seigneur Aizen risque de ne pas apprécier que deux de ses éléments se trouvent ainsi réduits à rien du tout. »

Disant cela, il regarda Ulquiorra dans les yeux. Une idée venait de germer dans son esprit génial. Pourquoi ne pas profiter de cet accident pour pousser l'expérience plus avant? Il en allait de son devoir en tant que scientifique, après tout. S'il voulait utiliser les personnes présentes, le premier et le plus important à convaincre était Ulquiorra, réputé pour son sang-froid et sa parfaite réussite dans les missions qui lui étaient attribuées. Il reprit donc, l'air de ne pas y toucher :

« Je pourrais inverser sans mal le processus, seulement je ne dispose pas des composants nécessaires dans mon laboratoire. C'est regrettable, si rien n'est fait dans les plus brefs délais, ils ne pourront plus redevenir normaux. Szayel Aporro prit un air faussement navré, qui là encore ne dissimulait pas ses intentions —inutile de trop jouer la comédie à partir du moment où il y avait un risque qu'Aizen soit contrarié, Il ne me manque pas grand-chose, pourtant. Rien qu'une pierre. »

Il haussa les épaules, faisant suivre le mouvement à ses bras, paumes tournées en l'air.

« Inutile que je vous explique comment je compte m'en servir, vous ne comprendriez pas. Quoi qu'il en soit, il s'agit d'une pierre à la structure spirituelle très spéciale, il n'y a qu'un seul endroit où on puisse espérer en trouver : dans une grotte, à seulement quelques heures de Las Noches. »

En fait, ça faisait un moment que l'Octava pensait envoyer l'un de ses Fraccion lui en chercher, mais comme ça ne pressait pas il ne l'avait pas encore fait. L'occasion lui était offerte d'en obtenir rapidement, alors il n'allait pas cracher dessus, sans compter que s'il y avait bien une chose qu'il savait, c'était que ce coin-là était infesté d'adjuchas redoutables, rien que ses sbires eussent été capables de battre et d'en revenir indemnes, avec une pierre en bon état.
Le Cuarta avait-il besoin de meilleurs arguments pour être convaincu? Sans doute.

« Cela t'ennuierait-il de t'y rendre et de m'en rapporter une, Ulquiorra ? lui demanda-t-il innocemment, Ou bien préfères-tu que j'en réfère d'abord au seigneur Aizen ? Je ne doute pas qu'il te choisisse pour cette tâche, de toute façon, alors autant ne pas perdre de temps, qu'en dis-tu ? »

En vérité, commencer par consulter Aizen enquiquinait Szayel Aporro, qui considérait ça comme un protocole administratif particulièrement rébarbatif, sans compter qu'il avait beau faire ses courbettes avec souplesse, ça n'en restait pas moins un exercice auquel il préférait se soustraire.
Il croisa de nouveau les bras et attendit la réponse d'Ulquiorra, tout en gardant un oeil sur N'noitra. Ce dernier ne pouvait pas le supporter, il en avait bien conscience, mais ils étaient unis par un vilain petit secret ; le Quinta ne se permettrait pas de tenter quoi que se soit contre lui en public... pas s'il était doté d'un minimum d'intelligence, ce dont Szayel Aporro doutait quelque fois. Cette histoire devait lui rappeler ce qui s'était passé avec Neliel, c'était certain... Croyait-il que si son ancien complice prétendait pouvoir rendre leur vraie forme à Starrk et Grimmjow, il en serait également capable pour elle?
Ça, c'était quelque chose que le scientifique brûlait aussi de découvrir.

Spoiler:

C'était un cauchemar. Ça ne pouvait être qu'un putain de cauchemar. Mais qu'est-ce qui s'était passé, au juste? Grimmjow s'était bien rendu compte de ce qui était arrivé, son corps était devenu celui d'un gosse... mais comment? À cause de cette fumée bizarre? C'était bien le seul truc insolite qu'il avait remarqué en venant ici mais après tout, le laboratoire du frangin d'Il Forte n'était pas loin, alors sait-on jamais... Pendant qu'il dégageait ses pieds du hakama géant (c'était l'impression qu'il avait), la situation se corsa : plusieurs arrancar arrivèrent successivement, devenant les témoins de cette situation pourrie. Il y eut d'abord Ulquiorra, qui resta à le fixer en silence avant de lui demander qui il était. « Moi, crétin profond ! » allait-il lui répondre, mais l'intervention de Luppi le coupa dans son élan. Qu'est-ce que ce sale merdeux venait foutre là?! S'il y avait bien quelqu'un sur qui Grimmjow n'avait pas envie de tomber, c'était bien son remplaçant. Aussi moqueur et ironique que d'habitude, l'espèce de tante qui lui avait piqué sa place lui servit son petit numéro habituel, avant de sous-entendre quelque chose que l'ancien Sexta ne saisit pas tout à fait et de s'éclipser. C'est ça, qu'il se casse!

Le défila continua avec Di Roy, qui débarqua juste au moment où Luppi s'en allait. Grimmjow fit la grimace. Ils s'étaient tous donnés rendez-vous là ou quoi? Elles étaient où, ces affiches : "Venez vous payer la gueule de Grimmjow"? Et d'abord, pourquoi c'était lui que tout le monde regardait? EH! La boule molle qui bavait à côté de lui, c'était Starrk! C'était pas plus drôle avec le Primera Espada? 'fallait croire que non, parce qu'à peine avait-il pensé ça que Di Roy, qui n'était plus tenu de le respecter depuis sa déchéance, lui décocha un coup de pied qui l'envoya rebondir contre le sol. Son corps d'adulte aurait encaissé le coup sans broncher (et aurait fait regretter au nabot de n'être pas resté à sa place) mais son corps d'enfant était loin d'être aussi résistant. Le pied de Di Roy s'enfonça dans son ventre avec un bruit mou, faisant directement remonter la bile dans la bouche de Grimmjow, qui se retrouva à quelques bons mètres de là, bavant et vomissant, les larmes aux yeux. Bon dieu, ce que ça faisait mal! Il savait que les coups de Di Roy ne valaient rien et pourtant là, il dégustait sérieusement! Malheureusement, le calvaire ne s'arrêta pas là.

Une douleur brutale l'écrasa contre le sol, et il ne put retenir un petit cri. Il ouvrit de grands yeux en voyant ce sac d'os de Quinta s'étaler de tout son long sur le sol. Il lui avait marché dessus, cet abruti?! Et ça lavait fait tomber?! Mais c'était quoi cette absence lamentable d'équilibre! Il avait vraiment eu un numéro inférieur à ce type? Il cessa de se poser la question quand un autre problème se présenta. Apparemment, N'noitra n'aimait pas se casser la gueule, et il était plutôt du genre à rejeter la faute sur les autres. Le Quinta l'attrapa dans sa main, dont les longs doigts entouraient facilement son corps de gosse, et le plaqua violemment contre le mur ; Grimmjow sentit le choc se répercuter le long de sa colonne vertébrale déjà mise à mal. Il serra les dents pour ne pas crier de nouveau, mais le gémissement qui s'échappa de ses lèvres n'était guère plus honorable pour un guerrier de sa trempe. Gardant un oeil fermé, il dévisagea N'noitra d'un air furieux ; il sentit alors des larmes couler sur ses joues, sans qu'il puisse rien faire pour les retenir ; son corps avait régressé au point d'être totalement incapable de supporter la douleur.
Quand l'autre homme l'eut enfant reconnu, Grimmjow laissa exploser la rage qu'on l'empêchait d'exprimer depuis tout à l'heure, soit en explosant de rire, soit en lui shootant dedans.

« Et qui d'autre, pauvre con ?! Lâche-moi, merde, ou j'te jure que j'te fais la peau ! s'écria-t-il en agitant ses petites jambes dans le vide, Et toi Roy, tu perds rien pour attendre ! »

... enfin pas tout de suite, disons plutôt quand il aurait repoussé d'un peu plus d'un mètre cinquante.
C'est alors qu'arriva celui qui ne pouvait qu'être responsable de ce cauchemar : Szayel. En tant qu'ancien membre de l'Espada, Grimmjow le connaissait, évidemment. De tous les types qu'il ne pouvait pas blairer (et il y en avait des paquets!) celui-là caracolait en tête de liste, juste derrière Luppi et Ulquiorra (qu'il détestait plus par principe que parce qu'il lui avait déjà fait une crasse). Grimmjow avait un sens de la propriété assez exclusif : il incluait ses proies et ses Fraccion, et il n'appréciait pas du tout que ce tordu de binoclard se permît de trifouiller ce qui lui appartenait.
Sa voix et ses manières, ça non plus l'ancien Sexta ne le supportait pas, mais quand Szayel parla de lui faire retrouver son état normal, il se dit qu'il pourrait peut-être mettre son animosité de côté, en tout cas le temps d'avoir retrouvé ses forces et d'être de nouveau en état de lui casser la gueule.
Quand l'Octava eut exposé sa requête à Ulquiorra, Grimmjow recommença à se débattre entre les doigts de N'noitra. Il avait déjà essayé de le mordre mais sans succès, et maintenant la main du Quinta était pleine de sa salive.

« Eh ! EH ! brailla-t-il afin d'attirer l'attention sur lui, S'il y a un truc à aller chercher, je veux venir ! »

S'il restait au palais, il était certain de finir dans le laboratoire de Szayel et franchement, il préférait encore servir de ballon à Di Roy plutôt que de subir une seule des expériences de l'autre taré! Alors il fixa Ulquiorra, les sourcils froncés, les joues barbouillées de larmes et la morve au nez. Il voulait prendre son air méchant et menaçant, mais il se doutait bien qu'il était en train de rater son effet.