Il en avait marre. Marre de marcher. Il voulait sa maman, pour qu'elle le prenne dans ses bras. Des heures qu'il traînait ses petites jambes aux genoux égratignés, avec dans la tête un mot martelé, comme un SOS, un appel, comme si l'intéressée pouvait l'entendre et le rejoindre, le retrouver ainsi : "Maman . Maman . Maman . Maman . Maman . Maman . Maman . Maman ."
Il ne voulait qu'une chose : sa mère. Bon, et un chien aussi, mais ça n'avait pas grand chose à voir. Quoi que... Il pourrait grimper sur son dos, et crier : "Huuue, Toto, cherche maman, cherche", et la pauvre bête foncerait le plus vite possible, pressée que l'enfant descende de son dos.
Il traînait les pieds sur le goudron du trottoir, endoloris dans ses petites sandalettes, avec son énorme bosse sur le crâne. Parfois, il la touchait, pour voir si elle était toujours là. Si maman avait été là, elle aurait fait un bisou dessus, et puis elle aurait dit la formule magique qui fait disparaître les bobos. Mais maman n'était pas là.
Il ne savait pas exactement quand il l'avait perdue. Après que leur voiture (rouge, la voiture ! Le rouge, c'est mieux que le vert. Papa voulait une voiture verte, mais pas lui, et maman lui donnait toujours raison. Donc rouge.) ait heurté le gros camion. C'était là qu'il avait eu sa bosse. Mais ces moments, ceux qui précèdaient ou suivaient de peu l'accident, étaient flous dans sa mémoire, et y penser lui donnait mal au crâne. Il savait juste qu'il l'avait perdue. Et il savait aussi qu'il errait dans cette grande ville, lui qui n'avait même pas le droit d'aller à l'école tout seul (alors qu'il aurait bientôt six ans -dans dix mois- c'était un grand !). Mais il n'arrêterait pas tant qu'il ne l'aurait pas retrouvée, même s'il devait y passer ses journées ! Et ses nuits !
Il tourna au coin de la rue, à bout de patience malgré sa résolution de ne pas laisser tomber. Oh, une pause, une toute petite pause... Juste une minuscule pause.
Il ne se releva qu'une bonne heure plus tard. La nuit ne tarderait plus à tomber. Et lui, il était seul, au milieu de cette immensité. Il avait peur.
J'veux ma mamaaaaaaan, se mit-il à geindre.
Mais il n'obtint aucune réponse. Et il n'y avait personne d'autre dans cette petite rue, quelque part dans la ville qui lui paraissait plus grande que jamais. Oh, que son lit lui paraissait lointain ! Mais il n'avait pas la moindre idée d'où il se trouvait, ni d'où était sa maison, et encore moins... D'où était maman. Son obsession.
Il savait qu'il était incapable de retrouver le lieu de l'accident. Peut-être que maman était là-bas... Ou peut-être... Peut-être qu'elle était rentrée chez eux ! Et si c'était le cas, alors... Elle l'aurait... Oublié ?
Un instant, le doute l'envahit. Non ! Non, non, et non !
Tout en continuant à avancer, il mit son pouce dans sa bouche, puis tourna au coin de la rue.
Maaaaamaaaaaan ! Maaaaaamaaaaaan !
Bon, certes, avec son pouce dans le bec, ça donnait plutôt quelque chose du genre "maaaaaaan-maaaaan !", mais l'essentiel était qu'elle entende ses appels, où qu'elle fût. Forcément, elle devait s'inquiéter !
Il trébucha, tomba lamentablement au sol, et se mit à gémir. Il se releva en pleurnichant, et, péniblement, avança encore. Ce n'était pas qu'il était fatigué. C'était qu'il en avait assez. La patience d'un enfant a ses limites, après tout, et la sienne les avait atteintes.
Mais... Là, au bout de la rue... N'était-ce pas une silhouette ? Il se mit à courir vers l'ombre lointaine.
Héééééé ! Maaaaadame !
Il était juste derrière elle. Une grande femme brune.
Je cherche ma maman !
Aucune réponse.
Madame ?
Rien. La femme s'éloigna, sans même lui accorder un regard. Il l'observa, tandis qu'elle partait, désespéré.
Au bout de quelques instants, il décida de la rattraper, et de tenter sa chance. Il lui courut après, tant bien que mal, trébuchant régulièrement.
Quand il arriva au bout de la rue, personne. Ni à droite, ni à gauche. La dame avait disparu.
Il se retourna.
Oh, il y avait bien quelqu'un.
Mais c'était un homme.
