[Mission] Enquête au palais

Un jour, Starrk se plaignit qu'il lui manquait des coussins. Personne n'y prêta attention : sa subalterne était connue pour ses tentatives, aussi nombreuses que ratées, de réduire le temps de sommeil de son chef, il n'y avait rien d'étonnant à ce qu'elle s'essayât à une autre méthode. Malgré les récriminations de Lilynette, qui clamait haut et fort son innocence, le vol lui fut donc imputé et on n'en parla plus (sauf Starrk, bien sûr, que cette perte touchait plus durement que n'importe qui d'autre, d'autant plus que certains des coussins restants portaient des marques de griffure). Et puis surtout, la solidarité n'était pas le point fort des arrancar, alors ils n'allaient certainement pas compatir pour un truc aussi débile!
Ce fut ensuite au tour de Szayel Aporro de remarquer que son stock d'éprouvettes diminuait beaucoup plus rapidement que d'habitude. Après avoir trituré un peu les organes internes de ses Fraccion pour les faire parler, il dut se rendre à l'évidence que ni Lumina, ni Verona, ni aucun des autres brouillons qui le servaient n'étaient responsables de ces disparitions. L'hypothèse selon laquelle ils les auraient cassées accidentellement fut définitivement écartée quand ce fut au tour de ses scalpels de manquer à l'appel : impossible de les casser sans le faire au moins un peu exprès. D'un autre côté, son système de surveillance ultra perfectionné n'avait détecté la présence d'aucun arrancar dans ses quartiers... bizarre. C'était suffisamment étrange pour qu'il le portât à l'intention du seigneur Aizen, qui l'écouta mais ne lui donna pas l'impression de s'intéresser au problème autant qu'il l'aurait voulu.

Par la suite, on recensa d'autres larcins à l'intérieur du palais, ce qui donna lieu à bon nombre de rumeurs, dont certaines étaient plus farfelues que d'autres (quelqu'un osa prétendre qu'il s'agissait de shinigami infiltrés chez eux, et que c'était une stratégie très élaborée pour dérouter l'adversaire et l'affaiblir). De manière très répandue, les soupçons se portèrent sur Ichimaru, qui évidemment ne fit rien pour les détourner de lui ; mais comme il s'agissait de l'un de leurs chefs, on abandonna cette piste, pas parce qu'elle n'était pas plausible, mais parce que si c'était bien lui, les chances de l'attraper étaient extrêmement faibles ; mieux valait se trouver un coupable qui se laisserait prendre, pour sauver l'honneur.
De son côté, Aizen se souciait peu du triste sort de ses arrancar. Ils se faisaient prendre leurs petites affaires, et après? Ils n'avaient qu'à être plus précautionneux. Un peu comme lui, la dimension divine en moins. Inutile de préciser quel effet cela lui fit quand, le jour où il demanda à un serviteur de lui apporter un thé, il entendit celui-ci lui répondre :

« Il n'y en a plus, seigneur Aizen. Toutes mes excuses. Puis-je vous préparer autre chose ? »

Dieu était intouchable, aussi le shinigami ne sourcilla-t-il même pas en apprenant la terrible nouvelle. Il eut un peu plus de mal à conserver un air parfaitement impassible quand on lui apporta les boîtes censées contenir son thé : elles étaient toutes vides, c'était à peine s'il restait quelques minuscules copeaux de feuille dans le fond. On lui garantit que ses stocks étaient surveillés ; personne n'avait pu s'en approcher. C'était ennuyeux. Il pouvait vivre sans, mais quand même, il ne lui restait plus beaucoup de petits plaisirs depuis qu'il avait émigré au Hueco Mundo (hormis celui de comploter contre Soul Society, et le monde en général). Et puis le désert n'était pas le lieu d'approvisionnement idéal...
L'affaire des vols lui revint en mémoire, et il lui apparut alors que ce crime ne pouvait qu'être relié aux autres. Ceci avait assez duré! Il ne pouvait plus laisser ses troupes souffrir cette situation (ni lui d'ailleurs). S'il y avait un coupable, il fallait mettre la main dessus. Toutefois, en tant que chef incontesté, ce n'était pas à lui de se charger de cette basse besogne. Il ordonna donc aux deux petites arrancar qui le suivaient (presque) partout, Loly et Menoly, de lui apporter quelqu'un (n'importe qui tant que ses neurones ne se connectaient pas entre eux dans l'unique but de combattre et de parler plus fort que les autres) pour qu'il lui donnât ses directives. Elles s'exécutèrent aussitôt, heureuses de le servir, mais déçues que ça ne soit pas à elles qu'il confie cette mission, et jalouses par avance de celui ou celle qui en hériterait. Il était plus facile de diriger leur rancoeur sur une femme, surtout Loly, qui se dit qu'elle n'aurait aucun mal à s'en prendre à celle qu'elle choisirait.
Tiens, Tracy. Elle avait toujours eu envie d'arracher ses jolis cheveux.

C'est ainsi que l'arrancar Vigesimosegundo se retrouva dans une salle quelconque, face au seigneur Aizen, debout à côté d'un large fauteuil au design audacieux mais qui n'avait pas l'air confortable du tout. L'ombre d'un sourire bienveillant traînait sur les lèvres du shinigami quand il baissa les yeux sur elle. Il fit un pas dans sa direction avant de s'adresser à elle.

« Tracy, c'est bien cela ? Sans doute vas-tu pouvoir m'être utile. Tu n'es pas sans ignorer les récents vols commis à Las Noches, je suppose. Je te charge de trouver le coupable et de restituer à chacun son bien. Rends-toi auprès de ceux qui ont constaté qu'il leur manquait quelque chose. Loly, ajouta-t-il en jetant un coup d'œil à la petite brune qui s'avança à son tour, un papier à la main.
– Il y a une heure, dans les quartiers du Quinta Espada, Tesra a découvert la disparition des cache-œil de messire Nnoitra, lut-elle, Il dit que ça serait bien de les retrouver avant le retour de messire Nnoitra.
– Tu as entendu ? Eh bien, ne perds pas de temps. Tu peux disposer. »

Spoiler:

Depuis que Nnoitra était parti traîner du côté du laboratoire de l'Octava Espada, Tesra ne l'avait pas revu. Au bout d'un moment, le Fraccion décida de le rejoindre là-bas — on ne lui avait, après tout, pas interdit de s'y rendre, et malgré sa confiance quasi-absolue en la force du Quinta, cet endroit était suffisamment malsain pour que son appréhension soit légitime.
Là-bas, aucune trace de Nnoitra. D'après Szayel Aporro, il s'était rendu quelque part dans le désert pour une affaire pressante, en compagnie d'autres arrancar. Tesra était ressorti bredouille de cette entrevue. Désœuvré, il décida de rejoindre les quartiers de son maître pour l'y attendre. Il ne comptait pas vraiment s'y installer, plutôt traîner dans le coin en attendant son retour, pour être sûr de ne pas le manquer, mais une série de bruits suspects provenant de l'intérieur de la pièce l'amena à en pousser la porte. Là, stupeur : il n'y avait personne, mais quelqu'un venait de mettre un beau désordre : l'armoire était entrouverte, et les vêtements qui dépassaient étaient presque tous déchirés, tout comme le dossier du canapé qui trônait au centre de la chambre. Nnoitra n'était pas vraiment à cheval sur l'aspect de la pièce dans laquelle il ne venait se reposer que de temps en temps, et il se moquait probablement de l'état de ses affaires, mais son Fraccion préféra se mettre à ranger tout de suite : cette intrusion était une marque d'irrespect trop évidente, ça ne manquerait pas de l'agacer — et comme d'habitude, il y avait de bonnes chances pour que ça soit lui qui prenne... mais ce n'était pas sa principale motivation.

Quelques minutes plus tard, Tesra dressait le bilan des dégâts : déchirures maladroites sur la plupart des tissus de la chambre, vêtements comme mobilier, griffures sur les portes de l'armoire et, catastrophe, disparition des cache-œil. De tous ses cache-œil. En dépit de ses efforts, le Numero 50 ne put mettre la main dessus.
On les avait volé.

Comme il était allé se plaindre aussitôt après cette terrible constatation, Tesra ne fut pas étonné lorsqu'un arrancar entra un peu plus tard, même s'il lui lança un regard désapprobateur pour avoir oublié de frapper — ça restait la chambre d'un Espada, quand même! Il décroisa ses mains de son dos et détailla celle qui venait d'arriver. Il s'agissait d'une femme encore jeune d'apparence, aux cheveux blonds et au visage agréable ; il ne connaissait pas son nom, mais il lui semblait qu'elle était déjà au palais avant que lui-même ne se fasse arrancariser.

« C'est toi que l'on a chargée d'enquêter ? lui demanda-t-il, Quel est ton nom, déjà ? »

Les présentations faites, il lui précisa dans quel état il avait trouvé la pièce un peu plus tôt, avec son désordre, ses traces de griffe et ses cache-œil envolés.

« J'ai cru entendre du bruit, mais la chambre était vide quand j'y suis entré, acheva-t-il, Je n'ai senti aucune présence particulière... C'est d'ailleurs étrange, la porte est la seule issue possible. La fenêtre est fermée, et ses barreaux ne permettent pas de s'y glisser. »

Ce qu'il n'avait pas vu, c'était, dans un coin de la pièce, un trou à la base du mur, gros comme le poing. Cet endroit-là était en mauvais état depuis le jour où Nnoitra avait passé ses nerfs dessus, mais Tesra y était tellement habitué, et ce détail était tellement insignifiant...

Spoiler:

Voler des cache-oeils, c'était vraiment ridicule. Comme voler du thé, d'ailleurs. Plus les choses progressait, plus Tracy avait de mal à croire que ces vols soient « sérieux, » une tentative d'affaiblir les Arrancars ou d'obtenir un avantage quelconque. Et pourtant... Il était certain que Nnoitra ne réagirait pas calmement à la disparition. Tesra ne le disait pas, mais elle se doutait que si le Cinquième se mettait en rogne, c'était lui qui prendrait cher. Peut-être qu'il lui serait redevable si elle résolvait la situation ? Une motivation supplémentaire pour agir avec vitesse et efficacité.

Tout en écoutant sa description des évènements, elle faisait le tour de la pièce. Un peu partout, elle trouvait ces traces de griffures... Comme si le voleur n'était pas venu seulement à la recherche d'un objet, mais en avait profité pour saccager l'endroit pour le plaisir. Quand aux griffes... Elle ne savait pas grand chose des Resureccion des autres Arrancars, mais une chose était certaine : pour marquer ainsi la pièce à coup de griffe, il ne fallait pas avoir forme humaine. Cela excluait probablement les Shinigamis...

Des barreaux aux fenêtres, pas de porte... Les murs étaient en mauvais état, cependant, portant des traces de coup. Nnoitra était effectivement connu pour son tempérament colérique. Mais es dommages n'expliquait pas le trou à peu près circulaire qu'elle remarqua en bas de l'un des dits murs... Hum... Un orifice qui aurait permi au voleur d'entrer ? Impossible, il était beaucoup trop petit...

Elle arrêta enfin de tourner en rond, et fit face à Tesra qu'elle examina un instant, remarquant un détail qui n'avait d'abord pas attiré son attention.

« Alors, deux questions... D'abord, qu'est-ce que c'est que ce trou dans le mur ? Et qu'est-ce qu'il y a derrière ? Ensuite... Je n'avais pas fait attention, mais tu portes un cache-oeil, toi aussi. Est-ce que les tiens ont disparu aussi ? Sinon, ça veut dire que le voleur savait faire la différence entre les tiens et ceux du Quinta, ce qui veut dire qu'il nous connaît bien. »

Tesra resta immobile, les mains croisées dans le dos, tandis que celle que le seigneur Aizen avait vraisemblablement choisie pour se charger de cette affaire inspectait méticuleusement les alentours, comme si le désordre indéchiffrable pouvait révéler un précieux indice. Le fraccion leva un sourcil : cette enquêteuse perdait peut-être son temps, il avait lui-même secoué ce décor désastreux à plusieurs reprises, sans pouvoir tirer une quelconque conclusion. Il la laissa cependant terminer sa ronde, silencieux, attendant calmement l'avis de sa consœur sur la situation. Étonnamment, celle-ci semblait avoir déjà poussé une réflexion sur le sujet, et lui posa plusieurs questions. Tesra jeta un regard en coin à la fente mal dessinée, sorte de petit trou à la base d'un mur d'un des coins de la pièce, qu'il n'avait pas remarqué de prime abord en entrant dans al chambre un peu plus tôt dans la journée. Il était vrai que les fissures et autres lézardes faisaient en cet endroit partie intégrante de l'ensemble, témoignant de l'ardeur du Quinta, mais ceci était plus particulier dans ses proportions et sa forme que ce qu'il avait vu jusqu'alors.
Le regard inquiété du cinquantième arrancar renseignait bien sur sa réponse à la première question de la jeune femme, et il ne prit pas le soin d'y répondre directement, prenant la parole comme s'il se parlait à lui-même, une main sous son menton, l'autre à sa taille, en pleine réflexion ardue.

"- Hmm... Ce mur fait pourtant une bonne dizaine de centimètres d'épaisseur, et derrière, il n'est que désert jusqu'aux frontières de Las Noches."

Assurément, cet orifice était interpellant, mais étant donné les importants dommages infligés aux appartement du seigneur N'noitora, il était peu probable que le voleur ait pu se faufiler par cette entrée, à moins d'être assez petit, ce qui ne s'accordait pas vraiment à l'image qu'on pouvait se faire de lui, vu l'état général des lieux. Pour le fraccion, la piste du délinquant miniature semblait déjà écartée, mais il ne le fit pas remarquer, curieux de savoir comment la détective comptait s'y prendre pour la suite.
Sa seconde question était d'une toute autre nature, puisqu'elle lui demandait si ses propres cache-œils avaient disparus...où voulait-elle en venir ? Un peu intimidé par cette question, Tesra rougit légèrement en fronçant les sourcils, mais répondit en écartant un pan du long manteau moulant dont il était vêtu, découvrant aux yeux de l'enquêteuse une grande poche garnie de compartiments où s'alignaient plusieurs cache-œils sensiblement semblables.


"- En quoi un voleur aurait-il intérêt à voler les vêtements d'un espada ?"

Effectivement, difficile de penser que quelqu'un de normalement constitué puisse jouer consciemment un tel tour au cinquième espada en connaissant son caractère, assez violent s'il en était. Enfin, certains auraient bien pu en être capables, mais Luppi et le seigneur Ichimaru s'étaient tous deux rendus dans le monde réel récemment, et ne pouvaient de ce fait pas être suspectés (du reste, ils ne laissaient pas des traces aussi évidentes de leurs méfaits, comme Tesra l'avait appris à ses dépends, ce qui l'avait conduit à ne plus jamais s'écarter de ses affaires personnelles et les garder sur lui).
Pendant que les deux protagonistes s'interrogeaient sur l'étrangeté de cette disparition, ils ne remarquèrent pas les deux petits yeux brillants et rougeâtre qui les fixaient depuis l'obscurité de la faille dans le mur, soufflant imperceptiblement en frémissant. Ils s'éteignirent rapidement en fourmillant dans la direction opposée, ne laissant rien d'autre derrière eux que l'écho de petits couinements étouffés...

Spoiler: